semaine 20

Contourner l'incontournable

Edito par Jean Rebuffat, le 08 juin 2018

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Quand on est sur le pont d'un navire confortable, la Méditerranée n'a pas la même saveur que lorsque l'on fuit à prix d'or d'ailleurs la misère ou la guerre sur un rafiot pourri. La prochaine étape sera-t-elle de couler ces embarcations de (mauvaise) fortune sous le prétexte qu'on ne peut pas accueillir toute la misère du monde et que les droits de l'homme, c'est très bien mais encore mieux quand on les contourne? Photo © Laurin Schmid / SOS Mediterranée

Incontournable. Un mot à la mode depuis le dernier quart du XXème siècle. Par principe, ce qui n'est pas contournable est donc selon les cas inévitable, très important, s'imposa de lui-même: l'acception du mot est large mais tout le monde comprend ce mot, qui subsiste, à l'inverse de son compère inoxydable, bien rouillé désormais. Jusqu'ici, on croyait les droits de l'homme incontournables. Eh bien un secrétaire d'état fédéral belge, Theo Francken, rêve de les contourner.

C'est dire combien le mal est profond. Son opinion est non seulement celle d'une partie importante de l'opinion publique (et bien au-delà de la Belgique) mais encore considérée somme toute comme normale. Et là, c'est encore plus grave. Quand les concepts sont vidés de leur sens, même si ce sont des idéaux et que l'on sait parfaitement qu'ils sont difficiles à atteindre, tout devient possible.

Certes il ne faut pas prendre Theo Francken pour un imbécile. Il assène le slogan – qui sera retenu – et ensuite développe un raisonnement un peu plus nuancé – qui ne comptera pas. Quand on l'attaque, il se replie sur ce raisonnement et accuse les autres d'angélisme ou d'hypocrisie.

Ce n'est pas tout. Tous ces discours s'accompagnent de la ritournelle selon laquelle on ne peut pas accueillir toute la misère du monde, avec des variantes sémantiques. Jeudi matin, par exemple, un ministre fédéral belge, François Bellot, qui était surtout interrogé sur les limites de son action ministérielle (la mobilité), dans une longue interview au «Soir», a déclaré incidemment: «On ne peut pas être le réceptacle de l'ensemble des difficultés du monde». (1)

Or ce qui apparaît être du simple bon sens est tout bonnement une contre-vérité: toute la misère du monde ne migre pas, mais une toute petite partie. Nous n'aurons jamais, ni en Pologne, ni en Italie, ni en Belgique, ni en France, ni même aux États-Unis, à accueillir toute la misère du monde. Et cette misère, qui est certes économique, mais la faute à qui? peut aussi être due à des guerres qui poussent les gens à l'exode parce qu'ils veulent vivre, parce qu'ils ne veulent pas mourir. Ils fuient. Quelle aurait été la réaction des arrière-grands-parents de Theo Francken en mai 1940 si lors de l'exode des Belges vers le sud, c'est-à-dire vers la France, on avait fermé les frontières et déclaré qu'il fallait refouler les migrants?

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(1) Il convient de préciser que François Bellot ajoutait qu'il ne fallait pas criminaliser les citoyens qui aident les migrants (que ne démissionne-t-il pas, dès lors?)

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