semaine 20

Quand j'entends le mot culture...

Edito par Jean Rebuffat, le 22 mai 2020

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Sage précaution, mais quand tous les chemins sont périlleux, on ferme, la grande bibliothèque François Mitterrand comme le reste! Photo © Jean Rebuffat

Parmi les secteurs que la crise sanitaire massacre, il est en un aisément sacrifié car il est considéré comme un luxe, comme un accessoire, comme du superflu: c'est celui de la culture. On prendra ce mot dans son sens le plus large, et non pas dans le sens élitiste, du genre de l'exclamation: «Mais quel être cultivé!». On sait aujourd'hui que même les familles de bonobos n'ont pas exactement la même culture. La culture, ce n'est pas réciter dans l'ordre chronologique les titres de tous les opéras de Mozart, même si aimer Mozart et l'opéra relève en effet de la culture; c'est à la fois savoir et distraction, construction et expression, consommer et critiquer, apprendre et affiner, bref, essentiel et multiforme.

Seulement voilà: on peut se passer plus facilement d'aller au cinéma, au théâtre ou au musée pendant trois mois que de manger, boire et dormir. On observera d'ailleurs que la technologie moderne permet d'avoir accès aux films, pièces et œuvres d'art en quelques clics et que sans cette mondialisation-là, en admettant même le télétravail possible (ce qu'il ne serait pas aussi aisément), le confinement aurait été bien triste, sauf bien sûr pour celles et ceux dont la lecture ou l'écriture sont des habitudes, et la bibliothèque ou la réserve de crayons, bien fournies.

Mais en empêchant la culture vivante, c'est-à-dire celle qui se vit en présentiel, pour parler 2020, le coronavirus a stoppé les tournages de film, fermé les théâtres, les cinéma et les musées, biffé des programmes de l'été les festivals de musique (de tous les types de musique), retardé les éditeurs, gelé les projets, mais aussi a contraint au chômage tout un secteur économique, surtout si l'on inclut la gastronomie dans les beaux-arts. Les artistes, même les plus grands d'entre elles et eux, ne sont rien sans les métiers annexes. Sans la marchande de peinture d'Arles, que serait Vincent Van Gogh? Or tout ce petit peuple invisible est assimilé par contagion au mythe de l'artiste maudit. Comme si choisir un métier dans cette branche comportait l'obligation morale de bouffer de la vache enragée. On constatera que celles et ceux qui tirent le diable par la queue, dans tant de métiers sous-payés, des ONG aux éboueurs en passant par les profs ou les caissières de supermarché, se voient facilement collée aujourd'hui l'étiquette de héros pour solde de tout compte: au moins ne le font-ils pas pour de l'argent, ce qui, dans une société aussi ultralibérale que la nôtre, constitue tout de même un fameux paradoxe! D'où aussi symétriquement cette colère systématique contre le supposé salaire mirobolant des politiques...

Dans la fameuse société d'après, où l'on espère voir couler ces bateaux mammouths et cloués au sol ces avions surnuméraires, où l'on voudrait intégrer serait-ce comme un critère aussi important que le prix l'empreinte écologique, où l'on songe à une réévaluation des priorités, où l'on espère que la réflexion intime de chacun des confinés ne se dissoudra pas dans l'air des vacances, il serait bon de penser qu'une échelle des salaires qui va de zéro à l'infini est plus qu'immorale: elle est inefficace. Elle donne paradoxalement raison à Marx qui prédisait la paupérisation des masses et elle dément la théorie du ruissellement et des premiers de cordée. En première ligne, en effet, ce ne sont pas les généraux qui sont exposés, mais les fantassins. Le gardien de musée ne peut pas mourir de faim car s'il est vrai que l'homme ne vit pas seulement de pain, il s'en nourrit tout de même aussi!

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