Justice et publicité
Edito par Jean Rebuffat, le 03 juin 2022

L'idée qu'il faut que le public ait accès aux procès n'est pas dictée par la seule envie de respecter les droits de l'homme. Publicité a plus d'un sens. Photo © Jean-Frédéric Hanssens
La couverture médiatique à dimension mondiale du procès opposant Johnny Depp et Amber Head mérite qu’on s’y attarde. Les commentaires, en général, quand ils dépassent le niveau people ou le simple compte-rendu, voire l’explication du fonctionnement de la justice américaine, soulignent le caractère sordide de ce règlement de comptes conjugaux entre deux personnalités connues. Une perspective d’analyse intéressante se cache dans l’ampleur de cette couverture qui pose le problème de la publicité des débats.
La justice, en effet, est publique. Le contrôle aléatoire possible d’un élément neutre confère une indéniable garantie au justiciable. Cette garantie n’en est pas moins purement théorique car rares sont les procès où les spectateurs présents sont étrangers à la cause. D’ailleurs même dans les procès notoires, comme les procès d’assises, le public présent ne dépasse pas les quelques dizaines de personnes. La vraie publicité des débats n’est effective que lorsque des journalistes en rendent compte ; jamais peut-être autant qu’en cette matière le mot média, en ce qu’il veut dire intermédiaire, n’est-il utilisé à bon escient.
La chronique judiciaire est une spécialité journalistique qui a connu ses heures de gloire jusqu’il y a un tiers de siècle. Elle est en perte de vitesse pour une raison générale; il est devenu très coûteux aux entreprises de presse d’envoyer un journaliste tous les jours au palais de justice comme une sorte d’envoyé spécial. Or la fréquentation régulière des cours et tribunaux, pas rien que dans les grandes occasions, permet un véritable contrôle du fonctionnement quotidien de la justice. Bref le chroniqueur judiciaire tel qu’on le connut depuis le XIXème siècle est une espèce en voie de disparition.
Reste à savoir si pour assurer la publicité des débats, les téléviser en direct est une bonne solution. Le mot publicité n’a pas qu’une acception, rendre public; il a également pris le sens de réclame, abrégé dans l’apocope pub. Autant l’accessibilité réduite est-elle entrée dans les mœurs, autant une telle audience engendre-t-elle aussitôt l’inquiétude des magistrats. Car en théorie, les débats, on ne peut même pas les photographier. C’est pour ça qu’on voit proliférer des dessinateurs sur les bancs de la presse. Rien n’interdit pourtant de prendre note à la volée de tout ce qui est dit, mais par exemple, pour enregistrer le procès de Klaus Barbie à Lyon, il a fallu légiférer. L’intérêt de disposer de toutes les pièces, écrites et orales, s’impose évidemment aux yeux de l’histoire. Le procès de Louis XVI, par exemple, ou celui de Jeanne d’Arc, sont disponibles et c’est bien utile.
Le procès qui a passionné les téléspectateurs américains n’est pas voué à défier les siècles futurs, d’une part, et de l’autre, ce déballage de linge très sale place le contrôle extérieur au rang du voyeur. Ce constat démontre que là aussi, un équilibre est à trouver. Muer une procédure en spectacle peut amener aussi à des excès du genre de ceux qui sont dénoncés dans le chef des réseaux sociaux. Ce risque a toujours existé sauf que les moyens de communication étant ce qu’ils sont devenus, il est décuplé ou centuplé. Le triomphe de Big Brother, qui voit tout partout et tout le temps, est aussi un cauchemar totalitaire.
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