Tout n'est pas mort
Une édition originale par Thierry Robberecht, le 13 juillet 2020

Dessin © Serge Goldwicht
Il est vieux, si vieux, tellement vieux que marcher dans cette rue l’épuise totalement. Il se souvient que, jeune, il montait cette rue beaucoup plus vite et même à vélo, le cabas rempli de vivres pour sa femme et lui, de chocolats pour ses enfants et des croquettes pour le chat. Un vrai Père Noël. Il ne reconnaît pas les façades qui ont tant changé mais ses pieds se souviennent des pavés inégaux. Arrivé devant son ancienne maison, il sonne. Une femme ouvre la porte et demande sèchement : « C’est pourquoi ? ». Elle ne le reconnaît pas, normal. Il y a si longtemps.
- Qu’est-ce que vous voulez ?
Elle doit le prendre pour un mendiant ou un vendeur qui fait du porte à porte.
- Vous ne me reconnaissez pas ? demande-t-il.
- Non. Qui êtes-vous ?
- L’ancien propriétaire de cette maison. On s’est vu chez le notaire il y a longtemps.
- Ah c’est vous. Bon, Entrez. Quelques secondes, pas plus.
- En montant les marches qui mènent au bel étage, il demande machinalement si tout va bien.
- Pfff, non, soupire la femme. On n’aurait jamais dû acheter cette maison. Ce fut une énorme erreur. Une véritable catastrophe, tout cet argent gaspillé.
- Ah, pourquoi ?
- Pourquoi ? Pour mille raisons ! Tous les matins, je trouve des crottes de chat dans les escaliers alors qu’on n’a pas de chat. Toutes les nuits, nous sommes réveillés par un type qui, probablement ivre, monte les escaliers vers 3 heures du matin, en hurlant n’importe quoi sans parler d’une gamine qui, le matin, prend sa douche pendant des heures en monopolisant la salle de bain alors qu’on doit partir travailler et d’une femme qui monte et descend les escaliers en hurlant : « Je suis presque prête ! Encore 2 minutes ! ». C’est infernal ! Nous sommes épuisés et à bout de nerfs. Cette maison est un enfer. A cet instant, une porte s’ouvre sur un homme d’une trentaine d’années qui demande : « C’est qui ? » en désignant le vieil homme.
- L’ancien propriétaire.
- Il est venu s’excuser ?
Je ne crois pas. Se lamenter, plutôt.
- Quel culot ! Tu lui as expliqué tous les problèmes de cette baraque à ce voleur ?
- Oui.
L’homme s’empare des pans de la veste du vieillard et le soulève. Il est vert de rage :
- Vous saviez qu’un gamin joue au football tous les jours dans la cuisine, vous le saviez ? Le bruit de sa balle mille fois contre les murs nous rend fous ! Vous auriez dû nous dire que cette maison est pleine de vices cachés, pleine de fantômes ! Vous n’avez pas été honnête ! Vous êtes un voleur et un salaud ! Fichez le camp !
L’homme traîne le vieillard sans ménagement à travers la pièce, jusqu’à l’escalier et le jette violemment dans la rue où il s’étale sur le trottoir.
- Si je vous vois encore traîner par ici, je vous casse la gueule, dit encore l’homme en claquant la porte.
À terre, humilié, les mains en sang, les genoux douloureux, le vieil homme a pourtant un petit sourire devant son ancienne maison : « Héhé, se dit-il, satisfait, Tout n'est pas mort ! »
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