Trahison!
Edito par Jean Rebuffat, le 31 mars 2017

La couverture de Charlie Hebdo du 9 mars. D'une certaine façon, on ne peut mieux résumer l'un des aspects possibles de la traîtrise...
On voit fleurir sur les réseaux sociaux francophones ces derniers temps des fenaisons d'injures à l'égard des traîtres. Chacun a le sien, voire les siens. Car la trahison, en politique, est multiforme. Fillon, Macron, Valls, Moreau, le PS belge, le PS français, tous non plus des pourris, mais pire, des traîtres, traîtres à l'égard de leurs idéaux par leur pratique ou leur discours, traîtres à l'égard de ceux qui les ont introduit dans le sérail comme on introduit le loup dans la bergerie.
Notons au passage que pour une fois, l'extrême droite, en ce domaine mais c'est bien le seul où cela interpelle ses partisans, a connu ses épisodes de traîtrise. Prenons l'exemple du FN: ses thuriféraires se moquent comme de leur premier bulletin de vote que Marine Le Pen finance son parti avec de l'argent public (de la récupération individuelle à la Bonnot ou à la Robin des Bois, sans doute) ou qu'elle ne réponde pas aux convocations de la justice mais les luttes pour le commandement de son parti ont eu leur part de cris. On ne devait pas s'ennuyer, le dimanche à Saint-Cloud, dans le modeste castel de la famille Le Pen, lors des repas de famille...
Que ces indignations soient en général sincères est évident. L'exigence d'éthique est désormais, pour utiliser un mot à la mode, incontournable, et les longs détours comme les constructions entrepreneuriales désormais bien connues des intercommunales liégeoises ne suffisent plus à éviter de foncer dans le mur. Tant mieux. Mais cependant, le sens de la nuance semble quelque peu perdu de vue. Il faudrait retourner en classe de philo et se souvenir des principes catégoriques de la morale kantienne, dont la version burlesque est l'histoire de l'arroseur arrosé. Qu'il est facile d'opposer à la trahison de Manuel Valls envers un Benoît Hamon en train de sombrer celle de Benoît Hamon vis-à-vis d'un Premier ministre de son parti qui s'appelait Manuel Valls! Et c'est là que ça se complique, car la politique n'est pas que cynique, genre Chirac ("Les promesses n'engagent que ceux qui y croient"): elle est mue par des logiques différentes voire contradictoires. Aucun candidat à aucune élection nulle part n'est jamais tout à fait idoine, sauf à se présenter soi-même. Le choix peut être enthousiaste, rêveur, utile, traditionnel, culturel, ethnique, religieux, philosophique, personnel, idéologique, clientéliste, sexué ou quoi encore? Dans les faits, il est souvent une combinaison entre certains de ces facteurs.
Je comprends le choix du traître Valls comme je comprenais celui du traître Hamon. Il ne vaut pas toujours mieux perdre son âme qu'une élection, selon la formule célèbre due par parenthèse à un homme politique français qui a fait de la prison. Car perdre l'élection présidentielle française au profit de Marine Le Pen, c'est aussi perdre son âme. C'est ce qui fait de cette campagne électorale une machine implacable, digne de Shakespeare ou des tragédies grecques. On appellera ça le destin faute de mieux. Mais au bout du compte, qui semble désormais le plus probable prochain président de la République française? Emmanuel Macron - ce traître! Ce qui paradoxalement réjouirait grandement tous ceux qui voyaient avec effroi un second tour entre Fillon et Le Pen. Et finalement, Macron à la place de Fillon, même par défaut, même sans illusion, ce ne serait pas si mal. Même si c'est toujours hypothétique. Car personne n'aime les traîtres. Et de savants calculs montrent que Marine Le Pen pourrait tout à fait bénéficier d'un mauvais report des voix de droite républicaine et de gauche, combiné à une forte mobilisation très à droite, pour passer d'extrême justesse.
Et à ce moment-là, on regretterait François Fillon.
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