La République française s’est mise en marche, mais avec qui et vers où ? L’histoire le dira.
Un homme marche seul vers le Louvre
Edito par Jean RebuffatCe n'est pas d'hier que la France, celle dont on dit qu'elle est éternelle, se nourrit dans l'exercice du pouvoir de ces symboles qui résument et qui fédèrent: il y a presque mille ans que cela dure et à peine élu président de la République française, Emmanuel Macron en a usé d'une façon à la fois mitterrandienne et royale. Le Louvre, c'est certes l'un des plus beaux musées du monde, donc un haut lieu de culture, mais c'est aussi le palais historique des capétiens et de leur descendance, donc quelque chose qui s'inscrit dans la nuit des temps mais également quelque chose qui a été restitué au peuple - un peu, au fond, comme la présidence est la monarchie renvoyée au suffrage universel.
Sur l'hymne à la joie, il s'est avancé seul, regardant à gauche, regardant à droite (encore un symbole voulu, probablement), d'un pas élégant, précédé d'une lumière savamment dosée. Le chic français, en quelque sorte, d'un homme jeune servi par la chance et les circonstances et dont seule l'histoire à venir pourra nous confirmer si son talent explique qu'il les a saisies. Un premier de classe qui veut qu'on l'aime et qui le proclame, terminant son discours d'une surprenante anaphore où le mot amour n'était pas absent. L'élu par défaut va-t-il attirer à lui assez de Français pour que ce mariage de raison devienne un mariage d'amour? À défaut d'un état de grâce qui à dire vrai, n'a jamais vraiment touché que François Mitterrand, bénéficiera-t-il du syndrome de Stockholm? Ce que la France réclame, c'est tout bêtement un président qui préside. La politique qu'il préconise, au fond, n'a jamais compté de façon décisive. Pourtant c'est ce qui va advenir qui comptera. En France, tout finit par des chansons. Mais celles-ci sont parfois révolutionnaires, comme le prouve l'hymne national. Répit ou solution, l'alternative est celle-là.
La start up de la République
Edito par Jean RebuffatIl y a un curieux mélange de naïveté et de rouerie dans le monde politique, qu'il s'agisse de vieux routiers ou de jeunes loups. Le laboratoire que la France représente pour l'heure nous le rappelle. Et bien malin qui peut savoir comment tout cela va finir.
Quelques réflexions plus ou moins en vrac.
1. Le président élu, Emmanuel Macron, se vend extrêmement bien sur les réseaux sociaux et dans l'opinion publique. On le voit tel qu'il est décrit généralement: assez empathique, pressé, nerveux même mais se maîtrisant (ses ongles ne sont que très légèrement rongés), humain et inflexible en même temps. Il déclare tout de go ses objectifs: attaquer la falaise friable d'une droite compatible et ménager la gauche gouvernementale.
2. Son premier allié, François Bayrou, s'est fait rouler dans la farine et sa colère le dessert car la manière dont le parti de Macron investit plaît. Le naïf, en l'occurrence, c'est l'éternel candidat du centre (le centre étant au milieu de nulle part). L'ingratitude du jeune élu prouve par parenthèse qu'il est probablement plus le fils de François Mitterrand que de François Hollande.
3. La manière d'investir de la République en marche ressemble furieusement à la façon dont le mouvement s'est financé. Pour parler franglais, on y engage comme dans une start-up et on y trouve de l'argent par crowdfunding. Mais on sait aussi ménager dans l'optique décrite dans le point 1 et emballer cela avec un sourire affecté d'humanisme proclamé, ne vouloir blesser personne, pas de vindicte, respecter ceux et celles qui veulent travailler dans la même direction...
4. Là où l'on constate que la rouerie et la naïveté sont cousines, c'est qu'il ne s'agit pas que d'une opération de marketing. Le produit plaît mais pas uniquement à cause de sa publicité. Il correspond à une vraie demande de l'opinion publique française, changer les têtes, et le casting, jusqu'ici, est conforme à ce qui avait été annoncé. La publicité, en quelque sorte, n'est pas ressentie comme mensongère.
5. En face, ce n'est pas en marche, mais à reculons. Le FN perd sa pin-up (décidément, le franglais s'impose), les Républicains parent la menace de défections en masse par de massives menaces qui annoncent une nouvelle défaite, le PS devra dire merci au président qui va lui permettre de limiter la casse, Mélenchon est proche de la crevaison grenouillère en imaginant qu'il va remplacer le PS sans le soutien des communistes qu'il exaspère et quant aux écologistes, ils sont encore plus éparpillés que d'habitude, façon puzzle.
6. Mais tout cela reste bien fragile. Le scénario est écrit mais le tournage du film n'a pas encore commencé. Et les premières mesures du premier gouvernement de la présidence nouvelle pèseront lourd. L'opposition risque d'être plus dans la rue qu'à l'Assemblée nationale. Dans ce que Le Pen et Mélenchon ont dit, il y a convergence sur ce point et sur le sentiment de perdition générale de toute une partie de l'électorat. Celles et ceux qui n'y croient plus vraiment sont peut-être en légère décrue, touchés par l'optimisme ambiant, et si tout de même tout allait un tout petit peu moins mal? D'où la tentation de conforter le pouvoir de celui qui vient d'être élu.
7. La cérémonie d'investiture a été bienveillante, chaleureuse et consensuelle, avec un accent militaire un peu inattendu qu'un French Cancan joué à l'Élysée pendant le tour des félicitations n'a pas compensé.
8. La nomination d'Édouard Philippe au poste de Premier ministre n'a étonné personne, sauf quant à son heure tardive: 14h53, lundi. On s'en doute, quelques négociations ardues expliquent ce délai. Avec qui vient-il, tout de suite ou plus tard? On prête aux juppéistes, en passe de devenir des philippards, probablement, l'idée de former un groupe autonome à l'Assemblée nationale après les élections législatives.
9. Tout changeant tout le temps et vice-versa, rendez-vous pour la suite dès qu'elle sera claire. Se livrer au jeu des pronostics est un sport que les journalistes adorent, probablement attiré par ce qu'on appelle généralement sa glorieuse incertitude, mais le passé est plein d'avenirs irréels et le présent est trop mouvant. La parole, en définitive, restera aux électeurs. Encore heureux!