Journaliste, es-tu libre ou servile?
Edito par Jean Rebuffat, le 03 mai 2019

Capture d'écran du site de l'Unesco
Ce vendredi, c'est la journée mondiale de la liberté de la presse. Elle n'a évidemment ni plus d'importance ni plus de poids, en tant que journée mondiale, que d'autres tout aussi emblématiques en réalité d'un problème permanent, qui tient qu'entre le principe et la réalité, il y a des contingences qui assèchent l'un au profit de l'autre. Mais nous sommes journalistes et fatalement, cela nous concerne et nous incite à réfléchir sur le métier.
Évidemment on peut se la jouer pompeuse ou tragique et évoquer de glorieux exemples ou de tout frais cadavres. C'est aussi l'occasion d'un brin d'autocritique qui manque furieusement à ces journées d'encensement où l'on se sent un héros même quand on a chaussé ses pantoufles.
Oui, la liberté de la presse est fondamentale et nous dénoncerons tant que faire se pourra agressions, manquements ou attentats, sinon, seriez-vous ici à nous lire? Mais il faudrait être aveugle et sourd pour ne pas observer que journaliste, aujourd'hui, c'est considéré comme un métier de merde et pour ne pas entendre les critiques de copinage voire de corruption qui nous accablent. Nous sommes traités comme des rouages complices du système. Nous sommes perçus serviles alors que nous nous proclamons libres. Comment nous refaire une virginité? En évitant toute complaisance, bien sûr, mais aussi en comprenant que le monde a changé, qu'on le veuille ou non. Pleurnicher sur les réseaux sociaux, comme dans la réplique de Cyrano, c'est un peu court. L'ubérisation du métier est un fait. Précisément parce que les réseaux sociaux permettent à chacun.e de devenir une source d'information et d'émettre des commentaires qui hier ne dépassaient pas la limite du comptoir au café des Sports. On ne reviendra pas là-dessus et on voit bien qu'une nouvelle fonction éminemment journalistique est née: démineur de fake news. Désormais cet aspect prend une ampleur supérieure à deux mamelles traditionnelles que sont l'info elle-même et le scoop. C'est honorable. Encore faut-il que l'on soit cru et que cela soit effectué de la bonne manière. Hocher la tête en faisant tss tss, prendre l'allure de l'individu qui sait face à la masse ignare et manipulée, bref du type à qui on ne la fait pas et surtout s'abstenir de démonter le mécanisme depuis son origine sont des pièges à éviter. Cela ne suffira pas. La pertinence de la démarche ne doit pas nous empêcher qu'elle-même peut apparaître suspecte. Car la dualisation tant perceptible de la société actuelle, j'aime ou je n’aime pas, qui aboutit certes à briser les clivages antérieurs mais crée un éparpillement dans lequel plus rien n'est clair, a frappé notre métier. Le fameux théorème de Beuve-Méry, contre lequel j'ai lutté tant dans la pratique du métier que dans mes cours, et qui est tout simple: «Pour faire sérieux, faites emmerdant», a été remplacé par une dramatisation hypnotique et systématique de ce qui se passe. L'article, l'enquête, le reportage n'est plus comme une instruction à charge et à décharge, mais quelque chose qui dénonce, qui souligne, qui émeut. Il suffit pour s'en convaincre d'écouter l'évolution des génériques télévisés collés aux émissions d'information. Si l'on ajoute à cela la puissance mais aussi la caricature du raccourci, l'une des caractéristiques de l'internet (bien au-delà des seuls réseaux sociaux...), eh bien probablement plaît-on mais certainement est-on mauvais.
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