Bébés à vendre
Edito par Jean Rebuffat
Une âme pure à sauver, disaient diaboliquement les serviteurs de Dieu. Photo © Jean Frédéric Hanssens
L'aspect le plus immoral des religions trouve une nouvelle fois cette semaine en Belgique une illustration hallucinante. J'allais écrire incroyable et c'est le mot qui convient, nous allons voir pourquoi. Trente mille bébés auraient été vendus – vendus, pas donnés – après avoir été soustraits à leur mère dans des lieux (cliniques, hôpitaux ou autres) contrôlés en Flandre par l'église catholique aux heures révolues de l'État CVP, avant la décléricalisation qui a touché massivement la Belgique dans les années 90. N'en faisons pas un problème communautaire: si le poids de l'église était plus important en Flandre, il est probable que des faits pareils ont dû avoir lieu en Wallonie et à Bruxelles.
Ces bébés étaient les enfants du péché, comme on disait à l'époque, sorties du ventre de filles-mères, qu'on euphémisa par la suite en mères célibataires. Ils étaient confiés à de bons chrétiens qui allaient sûrement sauver leur âme et au passage, il faut bien rentrer dans ses frais, quelques dizaines de milliers de francs belges de l'époque faisaient le trajet inverse de ces nouveaux-nés.
Il n'y a pas eu qu'en Belgique, loin s'en faut... De tels scandales ont bouleversé plusieurs pays. Les églises – pas uniquement la catholique – envoyèrent des excuses contrites qui bien entendu, ne guérissent en rien les dégâts que tout ce stratagème pouvaient engendrer chez les parents adoptifs, les enfants ou la mère qui accouchait généralement sous anesthésie générale pour éviter tout contact avec le bébé.
Aujourd'hui où même dans un pays supposé de grande tradition catholique comme l'Espagne naissent plus d'enfants hors mariage qu'en son sein, les choses ont bien changé et plus personne ne regarde l'église et ses servants comme naturellement et essentiellement au-dessus de tout soupçon. Car comment tout cela a-t-il été possible? Eh bien parce que quand quelque chose risquait d'arriver sur la place publique, l'institution faisait tout pour l'éviter et se contentait la plupart du temps, comme elle pratiquait aussi avec les actes pédophiles un peu trop voyant, de déplacer un peu plus loin la brebis égarée, ce qui n'empêchait pas celle-ci de récidiver ou les affaires de continuer comme avant... Imaginer qu'il s'agissait de systèmes ou d'épidémies, ce qui était bien le cas, était tout simplement incroyable. Je me demande si en 1980, le ou la collègue qui aurait mené une enquête sérieuse sur ce sujet n'aurait pas tout simplement été taxé d'anticléricalisme primaire et discrédité d'office. Force est tout de même de constater que tous les systèmes, états, institutions, etc., qui se basent sur les religions du livre ont toujours réussi à dissimuler leurs horreurs sous le couvert du service d'un dieu d'amour et protecteur qui les plaçait au-dessus de tout soupçon. Il est très joli de préfacer Tintin au Congo mais faut-il nourrir la bonne conscience par d'hypocrites pardons? Au lieu de réclamer le déboulonnage des statues de Léopold II, éclairons la réalité par la rigueur de la raison et de l'enquête. C'est payant: dans nos régions, une majorité de citoyens se déclarent sans religion et même sans dieu.