semaine 26

Hugues Aufray tient bon le vent du temps

Chemins de traverse par Marcel Leroy, le 11 décembre 2023

Théâtre du Blanc Mesnil, près de Paris, le concert d'Hugues Aufray touche à sa fin. Le public, debout, chante avec lui. Photo © Marcel Leroy

Au bout de la rue, l'affiche, comme une carte postale dans la banlieue de décembre. Photo © Marcel Leroy

Cette histoire je la tiens d'un gars avec qui je parle dans le train, parfois. Il vient de se rendre dans la banlieue de Paris pour écouter Hugues Aufray. Il a fait le voyage depuis la Belgique en souvenir d'un autre concert, à l'entame des années 60, à Charleroi. Subjugué par l'air du large que le chanteur faisait souffler sur la vaste salle des Beaux-Arts de la ville, l'adolescent avait écrit une rédaction pour ne pas oublier ce moment qui lui donnait envie de voyager. Le professeur  avait dit qu'il avait écrit un peu à la manière d'un journaliste. Plus tard, le gars avec qui je parle dans le train, en suivant les lignes des paysages qui s'effacent, a découvert Bob Dylan grâce à Hugues Aufray et, au fond, c'est en hommage à ce passage de ferveur qu'il s'est rendu  à la gare de Maubeuge pour aller à Paris. 

Arrivé à la gare du Nord il a resserré le col de son manteau. Il ne pleuvait pas. Il était à l'avance. Il faisait brumeux. Il a pris le RER, ligne 2B, direction Roissy pour descendre à Drancy. Là où avaient été regroupés les juifs parisiens de la rafle du Vel d'Hiv. Auparavant, après  Saint-Denis, le RER avait marqué un temps d'arrêt lors de la traversée du grand chantier des JO de 2024. De Drancy il a eu l'impression de se retrouver à Marchienne-au-Pont en marchant vers le théâtre du Blanc Mesnil. Il s'est arrêté à un marché où les gens, ce dimanche-là, achetaient des doudounes pour 25 euros et des poulets frits avec des parfums d'épices dans l'air froid. Il a demandé si le théâtre était encore loin et s'est retrouvé dans une ville composée de deux secteurs, l'un plutôt populaire et l'autre, près d'un grand parc, cossu et de construction récente.

Dans le théâtre il s'est retrouvé tout en haut, quasi sous les toits. La vaste salle était pleine à craquer. Un mélange de gens de tous les âges, comme dans la rue. Des grands-parents avaient aussi emmené des petits-enfants au rendez-vous de l'artiste qui, à 94 ans, est toujours en piste. Quand Hughes Aufray a débarqué au milieu de ses musiciens, dans les lumières bleues, il s'est assis sur une chaise et a calé sa guitare sur un genou puis a commencé par dire merci d'être venus, malgré la tristesse de l'actualité et la froideur de ce dimanche, pour entendre des chansons populaires. Parmi ses références d'éternel troubadour il a cité Bob Dylan, rencontré en 1961 à New York, et Georges Brassens, qui fut, pour lui, un maître. Et le reste. 

Comme chaque fois, où qu'il soit, le chanteur nomade qui aime les chevaux a salué la quête de liberté, la tolérance, la fraternité et la nécessité de rechercher une raison de vivre, au plus près de la nature qu'il faut défendre et des autres qu'il faut aimer. Bien sûr, il a un côté instituteur ou moniteur de sport, Aufray. Droit dans ses bottes, il redresse le torse et lève les yeux parce que les années sont là, qui freineraient l'énergie qui émane de son être mais n'y arrivent pas. Son répertoire de ce soir-là? Le copain ne s'en souvenait pas vraiment, le spectacle formait un tout et les gens ont chanté avec l'homme qui était sur la scène comme des cousins qui se voient de loin en loin. 

Hugues Aufray a chanté l'histoire de ce diable de Dan Tucker, celle du cheval nommé Stewball, celle de Céline, et bon nombre d'autres déjà dans l'air du temps. Pour "La Fille du Nord" il a sorti son harmonica et les paroles vibraient comme un traîneau sur la neige.  "Si tu vas la-bas vers le Nord...", a confié  la voix calme et forte, "Tu feras le bonjour à la fille qui fut mon amour". C'est ça, Aufray. Plus tard, l'artiste s'est levé pour l'hymne que serait peut-être son "Santiano". Et le décor s'est voilé dans le brouillard des illusions, la voix s'est élevée, le vent a ravivé les rêves de gens venus peut-être rien que pour ça, retrouver ce goût du premier pas, celui qui vous fait échapper au piège de la torpeur tapie dans l'ombre et qui attend.   

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