J’ai rencontré l’artiste, Rétro, à deux reprises, à deux jours d’intervalle, alors qu’il peignait le « petit » mur du square Karcher (c’est Rétro qui qualifie ainsi ce mur de 40 mètres de long, ayant la particularité d’avoir 1 mètre de hauteur d’un côté et plus de 2,5 mètres à l’autre bout !). Le terme « rencontre » est sans doute exagéré. Après m’être poliment présenté, Rétro m’a expliqué que les discussions avec les dames Michu du quartier, le retardaient dans son travail qui avait pris du retard et que seules les visites de ses amis ne le dérangeaient pas car il continuait de peindre. Bien que mes capacités de compréhension aient été beaucoup réduites par l’âge, je compris qu’il m’accordait deux minutes et 3 questions. Des réponses partielles, je gardais deux informations : la première est que la fresque illustrait un conte, la princesse-grenouille; la seconde que le « concept » était le « rétrograffitism ». Le chat était maigre mais je devais m’en contenter. Brève « rencontre » qui me renvoyait à mes chères études.
Je confesse mon ignorance, j’ignorais tout de ce conte, pourtant fameux. Pour combler cette lacune, je lus le conte et retrouvai tous les personnages de la fresque : le roi, ses trois fils, l’arc et les flèches, la grenouille qui se transforme en fée, la sorcière, le coffre dans lequel est enfermée la mort du magicien, le lapin, l’aigle, les poissons. Bref, tous les « actants » et comme disent les pédants, la situation initiale, l’élément perturbateur, la quête, les adjuvants, les opposants, la fin heureuse et morale. Les différents acteurs du conte sont représentés dans un ordre qui est, dans notre langue, le sens de la lecture, c’est-à-dire de gauche à droite. Les scènes sont liées par le dessin et ne sont pas dans des cases comme les bandes-dessinées. La fresque est une illustration d’un conte populaire.
Elle est comprise comme telle à un certain nombre de conditions : la première est de préalablement connaître le conte, la seconde est de regarder la fresque de gauche à droite. Peinte sur un mur longeant un trottoir, si la première condition est satisfaite, la lecture des images se fait dans un sens (du sud vers le nord). Si vous empruntez le trottoir dans l’autre sens, vous commencez par la fin. Certes, vous perdez l'ordre de la séquence mais les illustrations en elles-mêmes sont superbes. Ecartons la possibilité d’embrasser d’un seul regard la fresque ; sa longueur et la présence de deux files de voitures garées le long des trottoirs l’excluent.
La fresque peinte à la brosse (seuls les yeux des personnages sont colorés avec une bombe) a été exécutée avec beaucoup de soin : des croquis préparatoires ont été faits par l’artiste, les grandes masses indiquées à la craie sur le mur ainsi qu’une esquisse des sujets. L’ensemble des couleurs renvoient à la palette de Rétro. Le bleu pétrole trouvé par Rétro un peu par hasard est associé au grenat profond, en complémentaire. La succession des plans est traduite par des nuances de couleurs. Le trait, noir, est dynamique, vivant. Il s’écarte de la fonction de la « ligne claire » : il ne détoure pas seulement les sujets et les motifs, il est utilisé par rendre les ombres et le relief. La belle fresque de la Princesse-grenouille me fait penser à la tapisserie de Bayeux : des scènes brodées racontent une épopée guerrière ; la conquête de l’Angleterre par Guillaume. Fresque et tapisserie sont des récits qui se lisent dans un sens, comme un grand livre. La fresque est de ce point de vue atypique dans le street art. Le plus souvent, les « murs », les fresques, ont les caractères de la peinture de chevalet : ils figent une scène, un portrait, une expression abstraite. Rétro, héritier du graphisme et de l’illustration, propose une entrée originale ; la fresque est une succession ordonnée des illustrations d’un récit. Les images sont à la fois des repères dans la linéarité du récit et des œuvres en soi (cf. : les portraits des trois frères, du roi, de la princesse etc.)
Venons-en à une étude des formes. Elles surprennent : la ville avec ses bulbes qui renvoient à l’architecture traditionnelle russe, mais aussi la richesse décorative des vêtements de la Princesse-grenouille pour ne prendre que ces deux exemples. C’est maintenant qu’il convient de revenir sur le « concept ». Le rétrograffitism est le pendant (ou le contraire) du rétrofuturisme. Pour nos lecteurs qui, comme moi, ont oublié ( sic) le sens de cette expression, donnons-en la définition : « Le rétrofuturisme est une tendance dans les arts montrant l'influence des représentations de l'avenir produites jusque dans les années 1970 et 1980. Caractérisé par un mélange de l'imagerie « rétro » avec des styles technologiques futuristes, le rétrofuturisme explore les thèmes de la tension entre passé et futur, et les effets aliénants de l'autonomisation et de la technologie. Il se manifeste notamment dans le monde de la mode, de l'architecture, de la littérature et du cinéma. » Prenons un exemple, il est passionnant et instructif de voir comment dans les années cinquante les Américains imaginaient l’an 2000. A l’inverse, on peut en 2017, imaginer comment vivaient les Américains des années cinquante. Sachant que notre réflexion, nos images, nos représentations du monde, ne peuvent qu’être au présent, nos imaginaires du futur comme du passé sont « colorées » par notre présent. Rétro (qui tient son nom de son projet artistique), artiste de street art, du graffiti, décline dans la rue (mais à l’envers !) le rétrofuturisme.
Rétro est un artiste qui porte un projet intéressant à plus d’un titre : il nous donne à voir de belles images, il nous montre son imaginaire du passé. De plus, il synthétise ses talents en proposant des fresques qui sont autant d’illustrations de récits. Il réinjecte de la temporalité dans une œuvre dont il faut noter la maîtrise dans l’exécution, la créativité, la beauté formelle.
Eh, m’sieu Rétro, vous qui avez si peu de temps pour m’écouter, j’voudrais vous dire une chose…vous êtes un artiste et je vous tire mon chapeau et, pourtant, ça caille !
Texte du conte:
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