Comment expliquer le déni israélien ?
Zooms curieux par Gabrielle Lefèvre, le 20 décembre 2023

Au 21 décembre 2023 et selon l'UNICEF, dans la bande de Gaza, 19 667 personnes, dont plus de 5 350 enfants et au moins 3 250 femmes, seraient décédées. Près de 52 586 personnes auraient été blessées dont 8 663 enfants. Des milliers d’autres sont portés disparus. Les femmes et les enfants représentent 70 % des victimes. Côté israélien, le bilan est d’au moins 1 200 morts dont 36 enfants et plus de 7 500 blessés. 138 personnes seraient encore retenues en otage.
Selon les sondages, une grande partie de la population israélienne ferme les yeux devant les tueries perpétrées par sa propre armée à l’encontre des civils palestiniens, principalement des femmes et des enfants. Comment est-ce possible alors que ce massacre se déroule sous nos yeux, envahit les chaînes de télévision et nos réseaux sociaux ce qui bouleverse le monde entier sauf quelques dirigeants européens et étatsuniens qui maintiennent malgré tout leurs liens étroits avec Israël, au risque d’être perçus comme complices d’un génocide ?
Deux Israéliennes tentent de comprendre et d’expliquer l’inexplicable.
Nurit Peled : une culture raciste, dès l’école
Spécialiste de l'enseignement des langues, chercheuse sur la thématique du racisme dans le système éducatif israélien et lauréate du prix Sakharov 2011 du Parlement européen, Nurit Peled est une activiste de la paix. Elle déclare : « En Israël, il existe une culture raciste qui déshumanise les Palestiniens ».
Elle explique : « L'éducation en Israël est terriblement raciste. Tout le discours l'est. La question est : "Êtes-vous juif ? Oui ou non. Et si vous l'êtes, êtes-vous un juif éthiopien, séfarade ou ashkénaze ? Cela s'accompagne d'un enseignement très traumatisant et agressif de l'Holocauste dès l'âge de trois ans, pour que les enfants vivent ce traumatisme et croient qu'il y aura bientôt un autre Holocauste qui sera perpétré par les Arabes au lieu des Allemands. Les manuels scolaires insistent vraiment sur ce point en permanence.
Cela crée un nationalisme qui se traduit par un grand nombre d'adolescents prêts à tuer n'importe quel Palestinien de n'importe quel âge, parce qu'ils pensent qu'ils sont les nouveaux nazis qui vont nous exterminer. Cette éducation peut être définie comme de la maltraitance, car elle éduque les enfants dans un traumatisme perpétuel. Le Jour de l'Holocauste, à l'âge de trois ans, on leur montre les images les plus horribles et les plus épouvantables, puis ils font des cauchemars, ils font pipi au lit. Ils en viennent à croire que tous ceux qui ne sont pas Juifs sont des nazis en puissance.
Cette éducation explique pourquoi il y a tant de gens qui disent : "tuons-les tous", parce qu'ils ont peur de n'importe qui, de tout le monde. »
Alors, que faire ? « On devrait apprendre aux jeunes à ne pas faire confiance, à remettre en question l'autorité, à penser par eux-mêmes. Mais ce n'est pas le cas. En réalité ce n'est le cas nulle part dans le monde, car les écoles finissent par servir d'outils pour produire des citoyens loyaux envers l'État.
Il y a ici un État occupant et un peuple occupé, et dénoncer cela, ce n'est pas être antisémite. »
Et ensuite ?
« Mettre fin à l'occupation. Immédiatement.. Qu'ils sortent tous de là, qu'ils cessent d'opprimer. Qu'ils s'en aillent. Si les Palestiniens veulent une démocratie laïque, comme beaucoup d'entre eux le disent, je pense que ce serait la meilleure façon d'avancer. Un seul État pour tous.
Israël est un régime colonial et d'apartheid qui a développé une culture du racisme au nom du judaïsme. »
- Le texte intégral de cette interview se trouve ici : https://www.eldiario.es/internacional/nurit-peled-academica-israeli-educacion-israel-forma-sociedad-viva-trauma-perpetuo_128_10713143.html
- Il est paru en français sur le blog FB de Dominique Vidal, le 2 décembre 2023.
Amira Hass : le colonialisme de peuplement rend les Palestiniens « inutiles »
Amira Hass, emblématique journaliste du Haaretz, un des seuls journaux israéliens à décrire ce qu’il se passe vraiment dans cette guerre, partage cette analyse de Nurit Peled et ajoute : « Nous avons nié l’histoire palestinienne et l’enracinement de l’existence palestinienne entre le fleuve [Jourdain] et la mer.
La destruction de Gaza est possible parce que, depuis 1994, nous avons délibérément laissé passer l’occasion que nous offraient les Palestiniens de nous débarrasser de certains de nos traits d’entité expropriatrice et colonisatrice et de leur permettre d’avoir un Etat sur 22% de la zone située à l’ouest du Jourdain (y compris Gaza). En juillet 2021 (Haaretz, 5 juillet 2021), j’écrivais que « dans toute la fièvre des discussions sur l’apartheid, une dimension dynamique, active et dangereuse de celui-ci – le colonialisme juif – s’est estompée et atténuée. Selon l’idéologie et les politiques du colonialisme juif, les Palestiniens sont des êtres inutiles (superflus). En bref, il est possible, utile et souhaitable de vivre sans les Palestiniens dans ce pays situé entre le fleuve et la mer. Leur existence ici est contingente, dépendante de nos souhaits et de notre bonne volonté – c’est une question de temps. L’idéologie de « l’existence inutile » est un poison qui se répand surtout lorsque le processus du colonialisme de peuplement est à son apogée… Le colonialisme de peuplement est un processus continu d’accaparement des terres, de distorsion des frontières historiques, de remodelage de ces frontières et d’expulsion des peuples autochtones. »
- Tribune publiée sur le site du quotidien israélien Haaretz le 18 décembre 2023 ; traduction rédaction A l’Encontre
http://alencontre.org/moyenorient/palestine/israel-a-tue-des-milliers-denfants-a-gaza-comment-tant-disraeliens-peuvent-ils-rester-indifferents.html
Une terre donnée par dieu
Un complément d'explication à cette indifférence de nombre d'Israéliens aux souffrances d'un peuple opprimé et colonisé nous est donné par John Mearsheimer, professeur en science politique à l'université de Chicago:
(...) "alors que l'attention se concentre actuellement sur Gaza, il est important de ne pas perdre de vue ce qui se passe simultanément en Cisjordanie. Les colons israéliens, en étroite collaboration avec les FDI, continuent de tuer des Palestiniens innocents et de voler leurs terres. Dans un excellent article de la New York Review of Books décrivant ces horreurs, David Shulman relate une conversation qu'il a eue avec un colon, qui reflète clairement la dimension morale du comportement israélien à l'égard des Palestiniens. "Ce que nous faisons à ces gens est réellement inhumain", admet librement le colon, "mais si vous y réfléchissez bien, tout cela découle inévitablement du fait que Dieu a promis cette terre aux Juifs, et seulement à eux"."
- https://www.nybooks.com/articles/2023/12/21/a-bitter-season-in-the-west-bank-david-shulman/
- https://mearsheimer.substack.com/p/death-and-destruction-in-gaza
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