semaine 20

Gaza : poésie d’outre-tombe

Zooms curieux par Gabrielle Lefèvre, le 15 décembre 2023

L’écrivain palestinien Nour el-Din Haggag, 27 ans, mort à Gaza, le 2 décembre 2023. Photo D.R.

Le professeur Refaat al-Areer était l’un des écrivains, poètes et militants les plus importants de Gaza. Photo D.R.

“Bonsoir le monde”. Ce sont les derniers mots de l’écrivain palestinien Nour el-Din Haggag, 27 ans, depuis Gaza, le 2 décembre 2023. Israël l’a assassiné le 5 décembre. Il voulait être entendu, c’est pourquoi il a écrit ceci le 28 novembre :

« Bonsoir, le monde"

"Hier soir, toutes les communications et internet ont été coupés. Ce que je pensais impossible a fini par se passer. Le facteur ne pourra pas venir au milieu de tous ces bombardements et destructions et ses journaux n’apporteront rien d’autre que les mêmes nouvelles chaque jour : que Gaza est en train d’être annihilée. Et peut-être la nouvelle de ma mort sera dans la prochaine édition. Les bombardements se font plus forts et nous nous accrochons à nos coeurs parce que ce que nous craignons se rapproche, nous allons mourir en silence et le monde ne saura rien de nous. Nous ne pourrons pas crier ni enregistrer nos derniers moments, nos dernières paroles.

Je vis dans un petit quartier, Shuja’iyya, dans la partie Est de la ville de Gaza. Les explosions ne cessent pas, une nuit après l’autre. Elles sont diverses et viennent de toutes les directions. À chaque bruit énorme qui fait trembler nos maisons et nos cœurs, nous nous prenons dans les bras. Nous savons qu’une explosion viendra que nous n’entendrons pas parce que nous aurons explosé avec elle.

Et donc je vous écris maintenant. Peut-être sera-ce mon dernier message qui parcourra le monde libre et volera avec les colombes de la paix et dira au monde que nous aimons la vie si nous pouvons la vivre, mais qu’à Gaza toutes les voies sont fermées et que nous sommes juste à un post ou un tweet de la mort.

OK : Je suis Nour El-Din Adnan Haggag, un écrivain palestinien. J’ai vingt-sept ans et plein de rêves.

Je ne suis pas un chiffre, et je refuse que la nouvelle de ma mort passe sans que vous disiez que j’aime la vie, le bonheur, la liberté, le rire des enfants, la mer, le café, écrire, Fairouz et tout ce qui apporte de la joie… Avant que tout cela ne s’évanouisse en un bref instant.

Un de mes rêves est que mes livres voyagent dans le monde, que ma plume ait des ailes libres de tous passeports sans tampons et de visas refusés.

Un autre rêve : que je puisse avoir une petite famille, que je puisse serrer dans mes bras un fils – qui me ressemble - tandis que je lui raconte une histoire pour qu’il s’endorme.

Et mon plus grand rêve reste que la paix puisse emplir mon pays, que le rire des enfants s’élève avant le soleil, que nous plantions une rose à chaque trou de bombe et que nous peignions notre liberté sur chaque mur détruit, que la guerre nous laisse tranquilles ; que nous vivions notre vie, pour une fois."

Signé: Nour el-Din Haggag

Gaza, Palestine, 28 novembre 2023. (1)

Repose en paix, Refaat de Gaza

Une autre grande voix poétique a été écrasée à Gaza :
Le professeur Refaat al-Areer est l’un des écrivains, poètes et militants les plus importants de Gaza. On dit de lui qu’il a passé sa vie à essayer de faire entendre la voix de Gaza au monde extérieur.
Il a été tué lors d’une frappe aérienne ciblée sur la maison de sa sœur. Son frère, sa sœur et ses quatre enfants ont été tués en même temps que lui.

Voici ses derniers tweets :

Refaat à Gaza
@itranslate123 – 13:01 UTC – Nov 1, 2023
Si je dois mourir, que ce soit un conte.
#FreePalestine
#Gaza

« Si je dois mourir, tu dois vivre, pour raconter mon histoire, pour vendre mes affaires, pour acheter un vêtement, et quelques rubans, (fait le blanc avec une longue queue), pour qu’un enfant, quelque part à Gaza, en regardant le paradis, attende son père parti en un souffle, et ne souhaite aucun adieu, pas même à sa chair, pas même à lui-même,regarde le cerf-volant, mon cerf-volant que tu m’as fait, voler dans les cieux, et pense qu’un ange est là, pour te ramener de l’amour, si je dois mourir, laisse le t’apporter de l’espoir, laisse le être un conte. »(2)

Dans le NY Times du 13 mai 2021, a été publié un extrait de son recueil de nouvelles “Gaza Writes Back” : « Mon enfant demande si Israël peut détruire notre immeuble en cas de panne d’électricité ». (3)
« Mardi, Linah a reposé sa question alors que ma femme et moi n’y avions pas répondu la première fois : Peuvent-ils détruire notre bâtiment si l’électricité est coupée ? J’avais envie de répondre : “Oui, petite Linah, Israël peut toujours détruire le magnifique bâtiment d’al-Jawharah, ou n’importe lequel de nos bâtiments, même dans l’obscurité. Chacune de nos maisons est pleine de contes et d’histoires qui doivent être racontés. Nos maisons dérangent la machine de guerre israélienne, se moquent d’elle, la hantent, même dans l’obscurité. Elle ne peut pas supporter leur existence. Et, avec l’argent des contribuables américains et l’immunité internationale, Israël continuera vraisemblablement à détruire nos bâtiments jusqu’à ce qu’il n’en reste plus rien”.
Mais je ne peux rien dire de tout cela à Linah. Alors je mens : ‘Non, ma chérie. Ils ne peuvent pas nous voir dans le noir.’ »

Le 14 octobre 2023, il envoyait ceci à une amie :

« Allez, Bougez vos cul paresseux, Nous avons du boulot, beaucoup de boulot, nulle part ailleurs dans le monde, la mort est utilisée de manière aussi créative qu’à Gaza, la mort croit en la diversité, je wizzz, je bang, je bombe, je tombe comme la pluie, me répand comme l’air, et coule comme l’eau, je brille dès les premiers rayons du jour, et ne pars pas avant d’être sûr, d’avoir plusieurs âmes accrochées à ma queue, je viens pour les enfants, par dizaines et centaines, et quand enfin je me repose, je frappe ma poitrine, comme ça comme ça, et espère n’avoir pas à travailler demain. »

1. Traduit de l’arabe par Ahdaf Soueif. Traduction française SF pour l’AURDIP.

2. https://lesakerfrancophone.fr/repose-en-paix-refaat-de-gaza. Par Moon of Alabama − Le 8 décembre 2023. Muhammad Shehada @muhammadshehad2

3. Mon enfant demande si Israël peut détruire notre immeuble en cas de panne d’électricité

En lien :

https://www.thenation.com/article/world/hunt-hamas-narrative-gaza-israel-palestine/

Par Adam Johnson dans The Nation, le 7 décembre 2023:

La presse et les politiciens américains tentent de faire entrer les attaques sur Gaza dans le moule de Zero Dark Thirty, mais il s’agit de quelque chose de beaucoup plus simple – et sinistre.
Les médias et la classe politique américains analysent, débattent et façonnent un récit à Gaza qui est totalement différent de celui qui est discuté dans les médias israéliens et parmi les dirigeants politiques israéliens. Ce fossé, né d’un racisme désinvolte, d’une crédulité délibérée et d’un alignement réflexe sur la ligne du parti du gouvernement américain, est en train de créer un échec médiatique tel que nous n’en avons pas connu depuis la période précédant la guerre d’Irak. …

 

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