semaine 20

L’angoisse des pauvres, l’argent des riches

Zooms curieux par Gabrielle Lefèvre, le 12 janvier 2024

La pauvreté qui se cache dans les recoins du métro bruxellois. Photo © Gabrielle Lefèvre

« On parle des dettes comme d’un problème personnel. Quand on vit dans la pauvreté et qu’on n’a pas assez d’argent pour payer ses factures, son logement, l’hôpital, sa nourriture, il ne s’agit pas d’un problème personnel. C’est un problème de société ». Ces paroles de Mélanie Joseph, collaboratrice du Service de lutte contre la pauvreté, résument parfaitement la situation actuelle, décrite dans le douzième rapport bisannuel du service de lutte contre la pauvreté, la précarité et l’exclusion sociale, une institution interfédérale, publique et indépendante. (1)

Le constat est clair : la lutte contre la pauvreté est un échec malgré les importants moyens qui lui sont consacrés par la Belgique. Le rapport précise que « dans presque toutes les situations familiales, les allocations minimales sont inférieures au seuil de risque de pauvreté. Ainsi, les personnes ayant droit à un revenu d'intégration doivent se contenter de : 1.263,17 euros pour une personne isolée, 1.707,11 euros pour un chef de ménage, 842,12 euros pour une personne cohabitante (montants au 1er octobre 2023). Selon les calculs du SPF Sécurité sociale, en 2022, les allocations correspondaient respectivement pour ces trois catégories de bénéficiaires à 78 %, 67 % et 69 % du seuil de pauvreté. »

Pour de trop nombreux ménages, il n’y a moyen de vivre dignement et la hausse hallucinante des prix des énergies et ensuite des produits alimentaires, due à la guerre Russie-Ukraine et la crise économique mondiale que cela a provoqué, a encore aggravé la situation. Trop nombreux sont ceux qui ne peuvent pas trouver de logement décent ou apporter des améliorations génératrices d’économies au logement qu’ils louent ; la cohabitation n’est pas possible puisque plusieurs avantages et corrections sociales sont alors supprimés. Bref, nombre de personnes sont obligées de s’endetter. De plus, la numérisation croissante des services publics empêche quantité de particuliers d’accéder à des aides et à leurs droits. Le rapport constate que « le taux de non-recours au revenu d'intégration est estimé à environ 45 %, à la garantie de revenu pour les personnes âgées (GRAPA) à environ 50 %, à l'intervention majorée (IM) à environ 45 % à l'âge actif et 24 % pour les 65 ans et plus, et à l'allocation de chauffage entre 78 % et 94 % à l'âge actif et entre 67 % et 88 % pour les 65 ans et plus (chiffres tirés du projet de recherche TAKE). »

Les recommandations énoncées dans ce rapport sont claires : il faut non seulement augmenter les aides mais surtout veiller à ce que les bénéficiaires y aient accès.

Et les riches dans tout ça ?

En Belgique, comme partout dans le monde, ils se portent bien ! Ainsi, Financité nous apprend que « 55% du patrimoine des Belges est détenu par les 10% les plus riches. » Précisions : « le patrimoine net consiste en la valeur des biens immobiliers et des actifs financiers (actions, obligations, avoir sur un compte, etc.) auxquels on soustrait les dettes. » Financité précise : « la part détenue par les 10% les plus riches a légèrement diminué ces dernières années, passant de 59% à 55% du patrimoine. De l’autre côté, la moitié de la population la moins bien lotie a quant à elle vu son patrimoine légèrement augmenter (de 7% à 8,4% du patrimoine net total). » Et ajoute : « Ces nouvelles données permettent aussi la comparaison au niveau européen, où la Belgique affiche un degré d’inégalité inférieur à nos pays voisins. La faute à la brique dans le ventre des Belges, qui permet de réduire l’écart. »

Autre précision importante : « Ces statistiques dépendront aussi grandement de l’humeur des bourses mondiales. Car si les 10% les plus riches possèdent 29% de l’immobilier résidentiel, ils·elles détiennent surtout 79% de l’ensemble des actions cotées détenues par des Belges. » (2) Il faut dire aussi que nos gouvernements successifs avancent – lentement – vers une plus grande efficacité de taxation, notamment par le biais des régularisations successives des avoirs financiers que nos riches avaient tentés de soustraire à la fiscalité nationale. En 20 ans, les amnisties fiscales successives ont permis de régulariser près de 10,9 milliards de capitaux et d’y prélever 3,9 milliards d’euros.

Récupérer l’argent du crime

On peut toujours faire mieux, évidemment. Et surtout en luttant contre l’évasion fiscale. En mai 2023, le SPF Finances estimait la fraude fiscale à 30 milliards d’euros par an, selon la RTBF qui précise que « les 383 milliards d’euros dont on entend parfois parler ne représentent pas la fraude fiscale, mais bien l’argent qu’ont envoyé 765 entreprises belges dans une trentaine de paradis fiscaux en 2020 (et déclaré en 2021), de façon légale. » (4)

A côté de cela, il y a un autre moyen rapide et efficace pour l’État de récupérer quelques milliards, produits par les activités criminelles des gangs et mafias qui ravagent nos sociétés : créer un parquet national financier, un secrétariat d'État à la lutte contre la criminalité financière, réaliser un audit de la situation. Bref, lancer un « plan Marshall pour la Justice », clame l’ex-juge d’instruction Michel Claise qui vient de se lancer dans l’arène politique sur la liste Défi. Il n’avait pas été entendu en tant que juge pourtant très médiatisé.

Reste à espérer que le prochain gouvernement renforcera les moyens de la justice afin de lutter plus efficacement contre les évasions et fraudes fiscales et surtout contre les blanchiments de l’argent du crime. Les moyens financiers ainsi récupérés devraient être investis dans l’action sociale qui permet aux gens de sortir de la pauvreté, de trouver du travail et de recouvrer ainsi leur dignité.

(1) Service de lutte contre la pauvreté, la précarité et l’exclusion sociale. Place Victor Horta 40, 1060 Saint-Gilles (Bruxelles). T.: +32 (0)2 212.31.67. www.luttepauvrete.be. E-mail: luttepauvrete@cntr.be

(2) Financité. https://www.financite.be/news_reseau https://www.nbb.be/doc/dq/f/dq3/histo/dff23ii.pdf

(3) https://www.lecho.be/economie-politique/belgique/federal/les-amnisties-fiscales-successives-ont-rapporte-pres-de-4-milliards-de-recettes/10517998.html

(4) https://www.rtbf.be/article/la-belgique-lutte-t-elle-suffisamment-contre-la-fraude-fiscale-11200380 (5) https://www.lesoir.be/560061/article/2024-01-09/michel-claise-au-soir-je-me-presente-aux-elections-pour-lutter-contre-la-montee

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