Desmond Tutu raconte l’apartheid
Zooms curieux par Gabrielle Lefèvre, le 26 décembre 2021

Desmond Tutu, décédé ce dimanche 26 décembre 2021. Il nous laisse des messages de grande humanité, d'inlassable défenseur des droits humains. Ici, en novembre 2011 à Cape Town. Photo © Russell Tribunal on Palestine
Comment peut-on arriver à une telle inhumanité ? C’était l’interrogation douloureuse émise par l’archevêque émérite Desmond Tutu, grande figure de la lutte contre l’apartheid, lors de la troisième session du Tribunal Russell sur la Palestine à Cape Town en Afrique du Sud, le 5 novembre 2011. (1)
« Nous parlons ici d’un morceau de terre où coexistent des Chrétiens, des Juifs, des Musulmans et que les Juifs considèrent comme la terre promise. Une terre qui implique l’occident plus que toute autre partie au monde, une terre liée à l’holocauste et à ce que le monde occidental a fait à l’époque. Une terre qui est une position stratégique pour le monde occidental. C’est une grande souffrance d’y voir la répétition de ce qui se passait ici autrefois. Quand quelqu’un vous dit : vous voyez cette maison, c’était autrefois ma maison et elle a été prise par les Juifs, je pense à tout ce qui s’est passé ici à District Six (un quartier de Cape Town rasé au nom des lois racistes). En Palestine, des gens disent : voici le mur de l’apartheid, mais ma tristesse profonde, quand je suis à un check point, est d’y voir exactement ce qui se passait ici : les traitements inhumains infligés aux Palestiniens, ces jeunes soldats arrogants qui décident si une femme enceinte peut se rendre ou non à l’hôpital. Je suis au supplice lorsque je pense à ce que les Israéliens se font à eux-mêmes : participer à un processus déshumanisant, pour les autres et eux-mêmes. Lors de la Commission Vérité et Réconciliation (2), les gens ont pu raconter les cafés empoisonnés, les noirs abattus et même ce corps humain qui brûle, à côté du barbecue d’un africaaner buvant sa bière… Ces actes et ces lois déshumanisantes m’angoissent. Mais je tiens à redire qu’Israël doit exister en tant qu’Etat indépendant avec des frontières reconnues et que la Palestine doit être un Etat viable, indépendant, contigu mais sans devenir les bantoustans que nous avons connus autrefois ici ; deux pays existant l’un à côté de l’autre, dans leur indépendance souveraine. »
Inhumanité : on ne peut même pas dire que l’homme oublie son humanité et redevient une bête puisque les animaux ne sont pas capables de telles horreurs. L’inhumanité est bien le propre de l’humanité, depuis le début de son histoire. Elle consiste à nier le caractère humain d’un individu, comme l’ont fait les Nazis vis-à-vis des Juifs, comme l’ont fait pendant des siècles des hommes et même des théologiens vis-à-vis des femmes, des Indiens, des Noirs (ont-ils une âme ?). Inhumanité de l’esclavage ancien et moderne, des colonisateurs de toutes époques. Inhumanité de notre système capitaliste débridé qui jette dans les bras de la précarité des milliers de travailleurs, pour en utiliser d’autres qui vivent dans la misère. Inhumanité des « marchés » financiers qui décident sans émotion de la viabilité économique d’Etats entiers sans tenir compte de l’indispensable étape démocratique qu’est la consultation d’un peuple, que sont les élections libres, qu’est l’action parlementaire rigoureuse et celle, indépendante, de la justice.
Inhumanité des nantis qui rasent les fondements de la justice sociale basée sur la solidarité, sur l’entraide mutuelliste, sur la force syndicale.
Tellement humaines cependant ces réactions des peuples qui se battent pour le respect de leur dignité, de leurs valeurs qui sont celles du vivre ensemble, qui luttent pour l’émancipation, pour la redistribution des richesses, pour la reconnaissance du travail réel, pour la protection des ressources de la terre et de la mer, pour l’éducation pour tous.
1. Article publié en 2011 sur entreleslignes.be
2. La Commission Vérité et Réconciliation a été instaurée par Nelson Mandela et présidée par Mgr Desmond Tutu. Le but était de recenser toutes les violations des droits humains commises depuis le massacre de Sharpeville en 1960 afin de permettre une réconciliation nationale sur base de la reconnaissance de ces faits et des confessions publiques.
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