Gaza, arithmétique de la terreur
Zooms curieux par Gabrielle Lefèvre, le 13 octobre 2023
Reportage photo © Jean Frédéric Hanssens
La barbarie répond à la barbarie, la loi du Talion (1) balaye les principes élémentaires du droit et notamment les droits humains universellement reconnus. Ces droits ont été rappelés avec dignité, avec force, avec émotion ce mercredi 11 octobre à Bruxelles par plus de 3.000 manifestants pacifistes, en majorité Palestiniens soutenus par des Belges dont les courageux représentants de l’Union des Progressistes Juifs de Belgique. (2)
Les actes ignobles du Hamas contre des civils israéliens et étrangers doivent être fermement condamnés. Comme sont condamnables – et n’ont jamais été condamnées - les multiples répressions sanglantes menées par Israël contre des millions de civils palestiniens expulsés, désarmés, emprisonnés, humiliés depuis des décennies.
Les Nations Unies le rappellent : de 2008 à 2023 le total des morts résultant de l’occupation israélienne s’élève à 6.715 dont 95 % de Palestiniens et 4,6 % d’Israéliens. Quant aux blessés, on en compte pour la même période 158.867 dont 96 % palestiniens et 4 % israéliens. (3)
Aujourd’hui, après 17 ans de blocus de Gaza, cette enclave palestinienne transformée en prison à ciel ouvert, « 2,3 millions de personnes ont un pronostic vital engagé à court et moyen terme. L’État hébreu est en train de priver des civils d’accéder à des denrées essentielles pour vivre, à l’eau, à la nourriture. C’est d’une violence inégalée. », explique le vice-président de Médecins du Monde Jean-François Corty interviewé par Médiapart. Selon le Bureau de la coordination des affaires humanitaires de l’ONU (OCHA), plus de 338 000 Gazaoui·es ont été contraint·es de fuir leur domicile. (4) Et les forces israéliennes annoncent vouloir contraindre les deux millions d’habitants à s’entasser dans le sud de l’enclave… Sans eau, sans électricité, sans nourriture, sans habitations… Voilà qui s’apparente à un programme génocidaire, le pire des crimes contre l'humanité.
Crimes de guerre
« Les crimes de guerre ne sont pas commis uniquement par des personnes équipées de Kalachnikov à bord de camions Toyota. Ils peuvent également être commis depuis le quartier général de la défense à Tel Aviv ou depuis le siège du pilote d'un avion de chasse ou d'un hélicoptère. » constate, dans le journal Haaretz, l’avocat Michael Sfard, spécialiste du droit de la guerre et du droit international, conseiller juridique de l’association israélienne « Breaking the silence ». Il ajoute : « Consequently, this needs to be said: Israel has held millions of people under a brutal blockade for more than 15 years with the support of the entire Western world. That is inhumane and inconceivable, and every solution to this bloody conflict ultimately includes respecting the rights of all people, both in Gaza and Sderot, to live with security and human dignity. And that begins with respecting the most basic rules as set down in the international laws of war, which are designed to reduce the harm to civilians. » (5)
Voilà une courageuse expression de la dignité humaine face à l’insoutenable racisme du ministre israélien de la défense Yoav Gallant : « Pas d’électricité, pas de nourriture, pas de gaz [...]. Nous combattons des animaux et nous agissons en conséquence ».
Transformer des femmes, des enfants, des personnes âgées, des hommes non armés en « animaux » c’est utiliser la rhétorique génocidaire, ouvrant la porte aux pires massacres qui ont endeuillé l’histoire de notre humanité.
Voila ce que personne ne peut accepter à moins de nier les valeurs de notre civilisation basée sur le respect des droits humains.
Or, nous sommes confrontés depuis des décennies au double langage de nos autorités nationales et européennes, condamnant impitoyablement le « terrorisme » palestinien, y compris lorsqu’il s’agit d’actes de résistance parfaitement légitimes face à une occupation brutale frappant principalement les civils. Nous constatons l’extraordinaire mansuétude envers les gouvernements israéliens successifs parce qu’ils sont de lucratifs partenaires commerciaux et politiques. Même l’Europe multiplie les déclarations très polies en faveur des gouvernements israéliens alors que l’armée de ce pays détruit des infrastructures, des écoles, des hôpitaux et centres de santé financés par l’Europe.
Comble du cynisme, la présidente de la Commision européenne, la très guerrière Ursula von der Leyen, outrepassant une fois de plus son rôle, s'est rendue en Israël, avec la présidente du Parlement européen, pour soutenir cet Etat. Francesca Albanese, rapporteur spécial de Nations Unies dont nous avons parlé récemment sur entreleslignes.be, rappelle finement les paroles de la même Ursula von der Leyen concernant la Russie : « Russia’s attacks against civilian infrastructure, especially electricity, are war crimes. Cutting off men, women, children of water, electricity and heating with winter coming - these are acts of pure terror. And we have to call it as such. »
« I look forward to the same declaration by President @vonderleyen on Israel's cutting of electricity, water and food in Gaza. If not, people could think that European institutions do not value the protection of Palestinian children, women and men as much as that of Ukranians.”, assène Francesca Albanese sur X.
La protection et la justice. Voilà ce qui fut rappelé par les manifestants à Bruxelles, dont la dignité était impressionnante et qui appelaient nos autorités belges et européennes à protéger leur peuple, à mettre fin à l’ocupation illégale des territoires palestiniens et à la politique d’apartheid instaurée par Israël, à la fin du blocus et des bombardements de Gaza. Tous attendent une action diplomatique et pendant ce temps, le compteur des morts et blessés tourne, à toute vitesse dans cette sinistre arithmétique de la terreur.
Reportage photo © Jean Frédéric Hanssens
(1) On retrouve la loi du Talion dans L'Ancien Testament, particulièrement dans Livre de l'Exode. Il est écrit : "tu paieras vie pour vie, dent pour dent, brûlure pour brûlure, blessure pour blessure".
(2) Manifestation organisée par l’Association Belgo-Palestinienne (ABP), Vrede, Agir pour la Paix, Mouvement Ouvrier Chrétien (MOC), Présence et Action Culturelle, Palestina Solidariteit, Solsoc, UPJB, Intal, Comac, etc.
(3) Chiffres de UN office for the coordination of humanitarian affairs.
(5) Michael Sfard est un avocat spécialisé dans le droit de la guerre et le droit international des droits humains. Il est conseiller juridique de l’association israélienne « Breaking the silence ». Son opinion est parue dans Haaretz du 11 octobre 2023.
Elle rejoint celle esquissée par François Dubuisson, spécialiste du droit international de l’ULB:
https://www.rtbf.be/embed/m?id=3096832
https://theconversation.com/conflit-israelo-palestinien-ce-que-dit-le-droit-215358
Articles sur le même sujet, dans entreleslignes.be :
https://www.entreleslignes.be/humeurs/zooms-curieux/isra%C3%ABl-tue-sans-cesse-en-palestine
https://www.entreleslignes.be/humeurs/zooms-curieux/francesca-albanese-la-flamme-du-droit
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