La belle folie de Luis Sepùlveda
Zooms curieux par Gabrielle Lefèvre, le 16 avril 2020

Luis Sepùlveda photographié en 2014 par Comune di Sesto San Giovanni — Flickr, Domaine public, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=89180608
« Antonio José Bolivar ôta son dentier, le rangea dans son mouchoir et sans cesser de maudire le gringo, responsable de la tragédie, le maire, le chercheur d’or, tous ceux qui souillaient la virginité de son Amazonie, il coupa une grosse branche d’un coup de machette, s’y appuya, et prit la direction d’El Idilio, de sa cabane et de ses romans qui parlaient d’amour avec des mots si beaux que, parfois, ils lui faisaient oublier la barbarie des hommes. »
Ainsi se termine ce magnifique petit roman, fable sur notre humanité prédatrice mais capable d’écrire les plus beaux textes amoureux : « Le vieux qui lisait des romans d’amour ». Paru en français en 1992, le journaliste du Monde Pierre Lepape en disait : « Le livre est une dénonciation impitoyable, bien que sans emphase, de la destruction aveugle, systématique, cruelle et stupide de cette forêt-continent qu’est l’Amazonie et, à travers elle, des équilibres fragiles et vitaux qui lient l’homme et son environnement naturel. »
Luis Sepùlveda est mort de ce déséquilibre, à savoir de l’irruption dans notre sphère vitale d’un virus échappé au monde animal sauvage, à cause de notre prédation idiote. L’auteur avait dédié ce livre à son ami Chico Mendes, assassiné parce que défenseur de la forêt amazonienne. Un parmi ces centaines de héros qui ajoutent leurs noms à la longue liste des victimes de la cupidité des riches, des puissants, des entreprises multinationales sans âme, sans autre but que l’exploitation totale de notre cadre de vie.
Depuis 1992, cette liste n’a fait que s’allonger malgré les dénonciations, les prises de position, les révoltes de peuples indigènes, d’altermondialistes, de défenseurs de l’environnement et de notre avenir sur cette terre.
Dans son livre publié en 2002, « La folie de Pinochet », Luis Sepùlveda nous envoie son testament politique et spirituel : « Voilà pourquoi j’écris, par besoin de résister à l’empire de l’unidimensionnel, à la négation des valeurs qui ont humanisé la vie et qui s’appellent fraternité, solidarité, sens de la justice. J’écris pour résister à l’imposture, à l’escroquerie d’un modèle social auquel je ne crois pas, car il n’est pas vrai que ce qu’on appelle globalisation nous rapproche et permette enfin à tous les habitants de la planète de se connaître, s’entendre et se comprendre. » Il y évoque les années noires de la dictature au Chili, et ces résistants qui chantaient « ces vers de Paul Eluard : « j’écris ton nom sur les murs de ma ville », et la Liberté existait au-delà de la mémoire immédiate, au-delà du désir fervent de la retrouver, au-delà de la douleur provoquée par la certitude de tant de morts en son nom. Elle existait dans toute sa splendide vigueur car la nommer c’était à chaque fois la réinventer. »
C’est ainsi que Luis Sepùlveda habite nos cœurs et pas seulement les rayons de nos bibliothèques. Et que ses mots vibrent toujours face aux même défis humanistes.
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